CLAIRE LE GALL : « J’AI PU TRAVAILLER MON PROGRAMME TOUT EN FAISANT L’ARBRE À DÉFIS »
Pour quelles raisons avez-vous choisi de participer à cette formation ?
Je n’avais pas forcément d’outil pour travailler la laïcité. Je trouvais que la Charte de la laïcité ou d’autres outils n’étaient pas suffisamment adaptés aux enfants pour les exploiter au maximum. Et je pense que beaucoup de collègues – dont je faisais peut-être partie au départ – ont une lecture incomplète de ce que c’est que la laïcité, et ça peut placer dans des situations où ils ne savent pas répondre… où ils n’osent peut-être même pas creuser la question de la laïcité. Par crainte de mal faire, par crainte de pas être dans le bon positionnement, par méconnaissance aussi, certainement. Et par le biais de ce jeu, l’enseignant se forme aussi. Donc à la fois les élèves découvrent, et je trouve que l’enseignant – enfin moi en tout cas j’ai énormément progressé dans ma pratique à ce sujet, et je compte le réutiliser l’année prochaine.
On n’était quand même que trois classes à être choisies, donc c’était assez restreint. Peut-être que certaines classes sont restées sur le carreau, donc il faudrait que ce soit inclus à notre formation je pense !
Le jeu L’Arbre à défis a-t-il répondu à vos attentes ?
Oui, il a permis de ne pas rester en surface simplement sur la notion de laïcité, simplement du point de vue de la loi. Il a permis de découvrir des faits religieux, d’ouvrir la parole sur tout ce que ça implique, tout ce que la laïcité à l’école implique. Et pas seulement connaître la loi et les interdictions qu’elle entraîne. Il permet d’ouvrir la parole sur quelque chose qui semble tabou.Il me manquait cet outil, un outil que les enfants se sont approprié parce qu’ils me réclament de jouer au jeu de la laïcité autant qu’ils me réclament d’aller faire du sport donc… Ils apprennent, et on n’a même pas besoin de faire des traces écrites systématiques : on est au-delà du transmissif. D’une séance à l’autre, on n’a même pas besoin de faire d’évaluation : c’est resté. Le dispositif ludique permet aux enfants de s’investir davantage.
Le guide pédagogique vous a-t-il été utile ?
Je l’ai utilisé chaque fois que je préparais mes séances en fait. Il me permettait de savoir comment aborder les cartes avec mes élèves. Je n’ai pas toujours utilisé la rubrique « Pour aller plus loin ». Le tableau proposé pour suivre l’avancement des séances au début ne m’était pas forcément familier, mais au final je m’en suis sortie donc… si j’y arrive, tout le monde peut y arriver.C’est un bon support. Il n’est pas trop rigide. L’enseignant ne sait pas tout. C’est ce qu’on dit aux enfants aussi. Quand on ne connaît pas le jeu, c’est rassurant pour l’enseignant. C’est-à-dire si je veux essayer de voir la démarche, je vois comment réagissent les enfants, etc. Plus c’est clé-en-main, plus ça peut donner envie à certains de se lancer dedans. Et quand l’enseignant s’est approprié le jeu, il peut prendre des libertés dans le fonctionnement : un guide pédagogique a aussi cette vocation, à la fois être un fil conducteur mais aussi permettre à chacun de se l’approprier. J’ai adapté la progression proposée à un fonctionnement qui impliquait qu’à chaque séance les enfants fassent exactement les mêmes tâches afin qu’ils travaillent facilement en autonomie. Et en fonction du calendrier civique.
Comment avez-vous utilisé le jeu en classe ?
Il faut le faire sur du long terme. Les enseignants doivent le savoir… pour que ça fonctionne, en tout cas, à mon sens. Le fait de le faire une fois par semaine, c’était ritualisé, les enfants l’attendaient, le réclamaient. Je pense que c’est ce qui a fait que ça a fonctionné aussi. Et le fait de le faire une fois par semaine, ça permet de revenir régulièrement, de revenir sur croire/savoir, sur un tas de choses qui passent, qui reviennent, qui interrogent les enfants… Avec mon groupe de CE2 ça s’est bien passé. Il y a peut-être des choses un peu compliquées avec certaines cartes, les nombres, certains mots. Mais arrivé en CM1-CM2, on commence à toucher du doigt certaines choses, et je pense que c’est bien à mon avis pour le cycle 3. Fin de cycle 2 éventuellement. Au début les petits, ils n’osaient pas trop, parce qu’ils ont peut-être l’impression que les grands savent mieux qu’eux. Mais au final, on a vu les petits intervenir, poser des questions, aller à la médiathèque, ramener des livres : c’était, selon moi, très positif pour tous.
Ce travail sur le long terme est-il réalisable ?
Oh, il me semble que oui. Moi je pense que c’est tout à fait possible sur une année, oui ! Enfin ça ne me choque pas du tout. Parce que moi je suis encore en train de travailler dessus, il y a encore 2-3 cartes que je dois encore travailler avec mes élèves – va falloir qu’on s’arrête un jour, mais voilà, c’est riche. A mon avis, c’est un projet à l’année – enfin moi je ne le vois que sur un projet sur du long terme. Donc à l’année, si on fait toutes les séquences.
On mobilise l’EMC, mais aussi en interdisciplinarité, on a pu travailler la lecture, la production d’écrit, le discours oral, tout ce qui a trait au langage, sans avoir besoin de forcer, de demander. En géographie également – quand on travaillait sur la carte « Arabe », on a sorti une carte : « Ah, moi je viens d’ici ; moi je viens de là… » Ca a permis d’utiliser un atlas sur des situations concrètes. En histoire aussi. Des liens on peut en trouver à foison dans tout ce qu’on a pu faire. Même dans la numération, quand on calcule les différentes années, par rapport au calendrier… L’Arbre à défis permet de traiter d’un tas de choses – on peut traiter en parallèle des symboles de la République, de l’Europe, tout peut s’y relier au final – ce n’est pas handicapant pour le reste du programme. J’ai pu travailler mon programme tout en faisant L’Arbre à défis. C’est principalement les axes EMC et français qu’on sollicite par le biais de ce jeu, mais on travaille en interdisciplinarité, donc ça passe dans les programmes, dans l’emploi du temps ça passe très bien !
Quel impact avez-vous observé sur les enfants sur le plan du vivre ensemble ?
Certains avaient des positions très fermées, et dans la discussion la parole s’est ouverte. J’avais des petits CE2 qui sont parfois beaucoup plus tranchés que certains CM2. Dans leurs pratiques, dans leurs croyances… Et certains qui n’osaient pas parler, qui étaient très en retrait sur ces questions-là, parce qu’ils n’osaient pas se positionner ou se poser de questions, je les ai vus entrer dans le dialogue, dans l’interrogation, dans la recherche. Et ça a créé de vrais échanges intéressants. Les enfants les plus discrets en sont venus à se poser des questions, ça a suscité un intérêt, ça a suscité beaucoup de débats aussi. Et voilà, sans les brusquer, on avance des pions ; on avance, on recule ; on essaie en tout cas d’ouvrir l’esprit. Je pense qu’au niveau culturel, ils ont appris. Au niveau de la connaissance de l’autre, on a avancé. Je pense qu’ils ont moins peur des différences qu’on peut rencontrer… dans la vie de tout un chacun.
Il y a une élève qui m’a dit : « Mais maîtresse, en fait, c’est que peut-être – enfin je suis pas sûre – mais en fait on aurait le droit même de changer de religion ». Et elle m’a regardée, et dans son expression j’ai bien vu que… ça ouvrait des choses… « Ah ouais… en fait en France on a le droit de choisir, de pas choisir… de changer, de pas changer… Et personne va imposer quoi que ce soit. » Alors, c’est à différents degrés selon les enfants, mais… en tout cas tous ont évolué positivement à l’aide de ce jeu.
Avez-vous rencontré des réactions négatives à la mise en place du jeu de la part des parents ou des enfants ?
Moi je n’ai eu aucune réaction de parents, en tout cas pas négative, je n’ai eu que des réactions positives. Et les enfants, il n’y a jamais eu de souci au sein de la classe, il n’y a jamais eu de révolte… Ce que peuvent craindre les enseignants n’a pas lieu quand on le fait avec bienveillance, quand on reste bien droit dans ses bottes, en tant que professeur – donc représentant l’Etat, donc neutre -, mais en permettant la parole, en ouvrant la parole, en offrant la parole aux enfants.
La mise en place du jeu a-t-elle également eu un impact sur la vie de la classe ?
C’est des moments où je n’ai même quasiment pas besoin d’être là. Parce qu’ils savent ce qu’ils ont à faire, ils se mettent tout de suite au travail. Et ça, dans une année de maîtresse, je peux vous dire, ça n’arrive pas très très souvent : que la maîtresse puisse se dire « je pourrais m’éclipser, ils continueraient de travailler ».
Ce jeu-là, ça les fédère : dans la coopération, les petits avec les grands notamment…
Et sur la vie de l’école ?
Je pense que si toutes les barrières ne sont pas tombées, les collègues ont vu qu’on pouvait prendre plaisir à parler de la laïcité, sans craindre – parce qu’en fait ce qui retient les enseignants, c’est surtout la crainte des réactions des enfants, des parents…
Ils étaient surpris de l’engouement des enfants. Je pense que ça a intéressé, si ce n’est motivé d’autres à continuer – et quand j’ai parlé à mes collègues d’intervenir dans leurs classes pour jouer avec L’Arbre à défis ils étaient partants tout de suite. Je pourrais peut-être lancer la chose, et puis peut-être après eux pourront reprendre aussi à leur compte la suite. Les AVS qui passaient dans l’école, qui s’occupent d’enfants handicapés, étaient très intéressées également par l’avancement de notre projet. Je crois que je vais en faire mon cheval de bataille de directrice. Je vais m’impliquer dans cette dynamique-là en tout cas, parce qu’au vu des réactions des enfants, et de l’intérêt qu’ils y mettent, il faut vraiment le développer dans le cycle 3.