Croire et savoir, Napoléon, sa brosse à dents et les médicaments 2/2
Mars 17 – « Croire et savoir, Napoléon, sa brosse à dents et les médicaments » 2/2 – Marine Quenin, déléguée générale ENQUÊTE
Nouvelle séance avec les CM2 de l’école M. en banlieue parisienne. Anaël arrive à l’école sous un ciel bleu.
En introduction, elle récapitule ce qui a été vu la semaine précédente, la différence entre les notions de croire et savoir, dans une classe qui semble, de façon surprenante, moins tendue. « Je vous laisse finir de préparer les défis avant que nous ne commencions ? ». Elle rappelle les règles du jeu : il s’agit pour chaque équipe de préparer 3 définitions pour le mot qui figure au recto de leur carte : 1 bonne et 2 fausses. Qui doivent être, toutes trois, extrêmement bien rédigées de façon à piéger les autres équipes. Les élèves peuvent s’aider du texte explicatif figurant au dos de la carte et des exemples de fausses définitions.
Premier défi : équipe jaune, polythéisme. L’équipe d’Alma propose « une religion où on croit en plusieurs dieux, une religion où on a plusieurs fêtes dans l’année, une religion où on croit en un seul dieu ». Anaël fait répéter les trois propositions puis demande aux équipes de se concerter avant d’écrire leur réponse sur une ardoise. Ils lèvent alors tous leur ardoise et on compte les bonnes réponses. « Toutes les équipes ont choisi la 1ère réponse. Les jaunes, quelle était la bonne définition ? J’ai peur que vous n’ayez pas réussi à les induire en erreur ».
On passe au défi suivant, monothéisme, puis à celui d’athéisme. L’équipe avait proposé entre autres « une religion où le dieu te dit de détester les autres religions ». Globalement, les enfants trouvent les bonnes réponses.
Un peu de grammaire…
Une fois les points comptabilisés, Anaël écrit au tableau « mono/théisme ». « On va essayer de comprendre ensemble comment ces mots sont construits. Pourriez-vous me trouver des mots qui commencent par mono ? ». Les réponses fusent « Monocycle » « Monopole » « Monosourcil ». Elle acquiesce « vous avez en effet bien compris et vous connaissez de nombreux mots assez compliqués. Monocycle ça veut dire quoi ? » « un vélo à une roue ! » Et avec un sourire « et monosourcil ? » « ben, quand quelqu’un il a qu’un sourcil, que ça fait qu’un trait ». Ils comprennent facilement que le préfixe mono signifie un seul. « Et théisme, ça veut dire quoi ? ». Du fond de la classe, Mounir s’exclame « dieu ». Anaël est impressionnée « bravo, donc mono-théisme, un seul dieu. Vous connaissez des monothéismes ? ». « Les musulmans » répondent en cœur quatre ou cinq enfants ; mais d’autres voix se font entendre « oui, mais aussi les chrétiens et les juifs ». Elle sourit en approuvant.
Elle poursuit, en posant la même question pour « poly ». Mounir à nouveau « Politesse ! ». Anaël lui propose d’attraper son dictionnaire pour vérifier. Les autres poursuivent « polysport », « la salle polyvalente ». Avant de répondre, Anaël revient à Mounir « tu ne sembles pas avoir trouvé le mot ; peut-être est-ce parce que tu cherches à poly, regarde plutôt à P-O-L-I, ce qui voudrait dire qu’il ne s’agit peut-être pas du préfixe poly » avant de s’assurer avec le reste du groupe qu’ils ont compris que poly signifiait plusieurs. « Et donc poly-théisme ? » « plusieurs dieux ! » « Vous avez des exemples ? ». L’hindouisme est proposé rapidement. Leslie semble hésiter « tu vois autre chose ? » « Oui la mythologie » « très intéressant ; tu peux préciser ? ». Elle est aidée par ses voisins qui évoquent les Grecs et les Romains et une autre équipe, les Egyptiens.
« Abordons maintenant le troisième mot. Si théisme, cela renvoie à Dieu, cela veut dire quoi ce préfixe : a dans athéisme ? » « aucun, comme aucun dieu ».« Vous connaissez des mots qui commencent par a, au sens de « aucun » « sans », « pas» ? ». C’est un peu plus compliqué. « A ?? » Anaël tente de leur suggérer des pistes « comment dit-on quand une personne n’a plus de voix ; elle est … ? » « Muette ! » propose Kaïcha. Anaël retient difficilement son sourire « muet, c’est quand on ne peut pas parler, mais quand on perdu sa voix de façon temporaire ? ». Les enfants semblent perdus. « On dit qu’on est aphone. A, sans, phone, comme son. Vous retrouvez cette même racine dans téléphone. » Elle poursuit en évoquant analphabète. Kaïcha comprend vite « ah oui, quand on est sans alphabet ». Et Mounir d’ajouter « et aussi atypique », « ah oui, c’est un mot compliqué. C’est quoi typique ? un type ? » « c’est une catégorie » « ah oui, très bien ! donc atypique, pas de type, pas de « catégorie », quelqu’un qui n’entre dans aucune catégorie ».
« Maintenant, je vous propose de voir un autre mot. Mais je vous préviens, il est compliqué. Même certains adultes ne le connaissent pas ». Et elle écrit A/gnosticisme au tableau. Mounir, qui n’avait pas lâché son dictionnaire, tente de tourner les pages à toute allure. « Pose-le Mounir, on va chercher ensemble ». Leslie, de moins en moins réservée, s’exclame alors « c’est comme diagnostic non ? ». Anaël s’empare de la proposition, pour analyser le mot avec eux, comprendre ce que signifie un diagnostic médical « en regardant le corps, les symptômes, le médecin acquière de la connaissance, un savoir ». Leslie ne s’arrête plus « donc là c’est quelqu’un sans connaissance ». Ainsi, avec eux, elle définit l’agnosticisme, comme le fait de ne pas se prononcer sur l’existence ou non de dieu, par absence de connaissance.
Nationalité, conviction, origine géographique
« Bon passons aux autres cartes ». L’équipe bleue propose ses trois définitions pour « musulman » : un musulman croit en un seul dieu qu’il appelle Allah ; un musulman est un habitant du Maroc, de la Tunisie ou de l’Algérie ; un musulman croit que Dieu est apparu sur terre pour donner ses commandements ». Les équipes se concertent alors pour répondre ; l’équipe verte est agitée, semblant indiquer que pour eux, aucune n’est valide et finit par inscrire 0 sur son ardoise. L’équipe orange s’empresse de la copier. Une fois les ardoises levées, Anaël leur demande de s’expliquer « ben, y en aucune de bonne, parce que même la 1, elle est fausse. Parce que Dieu il a 99 noms ». « Je comprends ce que tu dis, mais cela signifie-t-il que la définition 1 est fausse ? Dans une définition, on ne donne pas toutes les informations ». Mounir finit par en convenir.
Carte suivante, « Arabe ». Les enfants semblent majoritairement d’accord avec l’idée que les arabes partagent une culture et, potentiellement, une langue. « Et à votre avis, tous les musulmans sont-ils arabes ? ». Ils doutent. Anaël projette un planisphère au tableau. « A votre avis, quel est le pays qui compte le plus de musulmans ? ». Des 4 coins de la classe, les réponses sont unanimes « l’Arabie Saoudite ! ». Pourtant, Kaïcha, à nouveau, n’a pas l’air si convaincue « non, y a un endroit, là avec des îles… », mais sans pouvoir aller plus loin, sans avoir l’air non plus très sûre d’elle. Anaël lui donne raison « tout à fait, le pays où se trouvent le plus grand nombre de musulmans est l’Indonésie, un pays de quel continent ? » « Asiatique », répond Kaïcha rayonnante. Un pays très éloigné de ce qu’ils avaient en tête.
Dernière carte. L’équipe orange propose « un chrétien croit en Jésus, un chrétien est une personne qui va toujours à Lourdes, un chrétien croit en Dieu et prie à la synagogue ». Les enfants trouvent la bonne réponse après avoir hésité, mais sont intrigués par Lourdes. « C’est quoi ce truc ? ». Leslie, décidément bien moins discrète que lors de la première séance où on avait à peine entendu sa voix, s’explique « c’est un endroit où Bernadette, une petite fille, elle a entendu Marie. Vous savez pas qui c’est Marie ? Ben c’est la mère de Jésus. Et ils disaient qu’elle était folle ». Anaël lui demande : « Tout le monde disait qu’elle était folle ? » « Non, pas tout le monde, y’en a qui la croyaient ». « Mais c’est impossible », rétorque son voisin. Anaël saute sur l’occasion « vous voyez, on retrouve les notions qu’on a abordées la semaine dernière, celle de croire et savoir. Bernadette a dit qu’elle a vu Marie, et certains l’ont cru, d’autres, comme toi, ne le croient pas. On n’est pas là dans le domaine du savoir, mais du croire ».
Surprenant à quel point, en deux séances, les choses ont avancé : comment la notion du croire, différenciée de celle du savoir, qui les heurtait la semaine précédente, a fait son chemin. Et comment une classe qui paraissait uniformément musulmane lors de la première séance semble se colorer de différentes convictions.
Pour conclure, Anaël finalise le comptage des points et propose à chaque équipe de participer à la construction de l’Arbre à défis, en collant le nombre de pièces de couleur correspondant à leurs gains.