« Etre musulman, aimer le chocolat et porter des lunettes… »

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Novembre 14    « Etre musulman, aimer le chocolat et porter des lunettes… » – Marine Quenin, déléguée générale ENQUÊTE

Nouveau format pour les ateliers ENQUÊTE : un atelier parent-enfant dans ce centre social parisien d’un quartier populaire de la capitale. A la demande du directeur du centre, nous expérimentons donc, toujours à destination des enfants de 8-12 ans, mais en y associant les parents. Marine, l’animatrice, a présenté les ateliers lors d’un conseil des habitants quelques jours auparavant : après une discussion nourrie autour de l’organisation, et surtout du financement, d’un voyage au Futuroscope, elle a parlé laïcité, apports de connaissances sur les religions, atelier autour du jeu… Comme souvent, le sujet a soulevé de nombreux commentaires, anecdotes et deux mamans ont affirmé qu’elles viendraient avec leurs enfants le mercredi suivant…

Faire connaissance

Une table positionnée stratégiquement en face de la porte d’entrée, à l’entrée de l’espace jeu parents-enfants ouvert tout l’après-midi, et non loin de l’accès à l’atelier de musique prévu 1 heure plus tard.

Les enfants arrivent au compte-goutte. Marine commence avec Niema, 12 ans –« un très beau prénom ! » « c’est à la fois égyptien et algérien »- et Arthur, 11 ans « tu as vu les photos sur le mur ? le grand, avec un survet, c’est mon frère ! ».  Les présentations sont faites. La maman de Niema, une de celle rencontrée quelques jours auparavant, s’installe dans un coin, expliquant qu’elle veut écouter mais qu’elle n’aime pas jouer.

Première étape, un pendu. Voilà qui laissera le temps aux autres d’arriver. Marine veut leur faire trouver les mots « laïcité » et « religion », pour définir le thème de l’atelier. Arthur commence avec « A » ; Niema, organisée, propose de poursuivre en passant en revue toutes les voyelles, « le meilleur moyen de trouver ». Arthur n’a pas l’air nécessairement d’accord mais se laisse porter. Ils trouvent les deux mots assez vite et Marine leur explique que les ateliers porteront sur ces deux sujets. La maman s’est éclipsée.

Se définir

Deuxième étape : leur faire comprendre que chacun est porteur de multiples identités, et ainsi que l’identité convictionnelle –croyante ou non- n’en est qu’une parmi d’autres. Marine leur demande de dessiner trois traits de leur caractère, « des choses que vous aimez beaucoup, qui vous définissent, auxquelles vos amis ou familles pensent quand on parle de vous… ». Niema, visiblement appliquée et intéressée, dessine un piano et écrit de petites phrases ; Arthur, plutôt en mode provocation, tente une console de jeux électronique, une paire de boucle d’oreilles (« pourquoi ? ben parce que j’avais envie de les dessiner »), et des toilettes –il rigole tout seul quand on lui demande la raison pour laquelle il est parti par là….

Entre temps, deux jumeaux d’une dizaine d’année, Pierre et Félix, et Saïdina, un garçon costaud, sont arrivés. Marine les intègre et poursuit « Levez-vous, on va faire des groupes, maintenant qu’on est plus nombreux ». Et là, elle leur demande de se mettre d’un côté et de l’autre d’une ligne au sol, en fonction de critères qu’elle énonce : « ceux qui aiment le chocolat, ceux qui n’aiment pas », « ceux qui portent des lunettes, ceux qui n’en portent pas », « les filles, les garçons », « ceux qui sont nés à Paris, ceux qui ne sont pas nés à Paris », « ceux qui font de la musique, ceux qui n’en font pas »… Elle-même participe à l’exercice. C’est le bazar, les enfants rient, font du bruit, mais se plient globalement au jeu. Et comprennent assez vite que les groupes ne sont pas les mêmes selon les critères. Mais aussi que eux-mêmes sont porteurs de multiples caractéristiques. « Du coup, à votre avis, quand on parle du « musulman » ou du «juif » ca veut dire quelque chose ?  Parce que finalement, une personne pourra être musulmane, aimer le chocolat et porter des lunettes et une autre, être aussi musulmane, ne pas porter de lunettes, détester le chocolat et faire de la musique.»  « On le voit bien avec nos copains, ils sont tous différents, pourtant beaucoup de la même religion ! ». Pas besoin d’insister, c’est passé.

Différencier

Troisième étape, jeu de cartes autour des nationalités, religions et origines culturelles et géographique. On a récupéré Assala, petite fille discrète à tresses et Awa, aux grands yeux verts, qui ne tient pas assise. Marine distribue deux cartes à chaque enfant. La maman qui était partie est de retour, mais refuse toujours de jouer, même si, visiblement, elle tend l’oreille. Chaque enfant pose une carte sur la table, à tour de rôle, en expliquant pourquoi il les regroupe par thème. Ils mettent spontanément les religions ensemble, même athée « ben oui, c’est une religion, c’est eux qui croient pas à dieu », les nationalités dans le même tas « Sénégalais, c’est ceux qui habitent au Sénégal, et les Chinois, en Chine ». Juste une hésitation avec « hindou », religion ou nationalité ? Assez naturellement aussi, « asiatique », « européen » et « africain » – « moi, je suis africain et Français », clame Saïdina – se retrouvent dans un 3e groupe, celui des « continents ».

Discussion autour de « arabe »… Où le mettre ? « C’est quoi un « arabe » ? une nationalité ?» demande Marine. « Oui, il y a des arabes saoudiens ! » « Est-ce qu’on ne dirait pas plutôt des Saoudiens tout courts ? Et puis n’y a-t-il pas des arabes dans d’autres pays ? ». Tous ensemble, ils réagissent « mais si ! », « il y a les Tunisiens, les Algériens… » « et aussi les Marocains, et les Egyptiens ». Neima ouvre la bouche pour compléter, sa maman souffle « c’est une langue », Neima, pas contente, « Maman, laisse moi répondre ! oui, c’est une langue, et puis une culture ». Marine est bluffée « vous êtes forts… en effet, un personne arabe, cela renvoie à la fois à une langue, une origine géographique, une culture. Maintenant, je voudrais voir avec vous si on peut associer certaines cartes : arabe et musulman ? » Pas de problème de ce côté-là, si ce n’est une petite voix « quand on parle de musulman et arabe, on parle souvent de guerre ».  « C’est vrai que dans les média en ce moment, on en parle beaucoup. Mais rappelle-toi le jeu précédent, est-ce que toutes les personnes sont pareilles ? », Assa aquiesce. Neima ajoute « en fait, c’est aussi une façon de parler quand on dit « tous les musulmans, ils sont comme ca », en fait, c’est souvent quand on est fâché ».

Marine tente ensuite plusieurs combinaisons, doubles, juif-arabe, arabe-athée, asiatique -musulman, voire triples français-musulman-africain. A la différence d’autres ateliers, aucune association ne semble les choquer ce qui ne manque pas de surprendre Marine. Elle finit quand même par une question piège « à votre avis, quel est le pays qui compte le plus de musulmans au monde ? ». Les mêmes nationalités que celles citées précédemment fusent « Maroc ? », « Algérie ? », « Arabie Saoudite ? ». Petit sourire en coin, elle conclut « et bien non, figurez-vous que c’est l’Indonésie. Un pays d’Asie ; et celui-là, on vous en parle à la télévision ? ».

C’est alors qu’elle s’aperçoit que la professeur de musique est attablée avec eux depuis 20 minutes et que le temps de l’atelier est largement dépassé… Les enfants partent en courant, Marine ramasse ses affaires et la maman vient la voir « c’est ce que je lui dis à Neima, que les religions, c’est avant tout le respect des autres. Nous, on est musulmans, mais on doit tous se respecter, même si on croient différemment ». En espérant qu’elle soit là mercredi prochain, et que d’autres parents se joindront à l’atelier, pour continuer.