Je me souviens…
Septembre 2021, « Je me souviens… » – Paola Reyes, animatrice ENQUÊTE
Il fait très chaud quand j’arrive à l’école dans le quartier parisien du Marais à trois heures moins dix. L’entrée est fleurie, la concierge m’accueille avec un grand sourire, tout est calme. Mais dans la cour, la Responsable Éducation Ville me salue et me prévient : « Les enfants sont très excités aujourd’hui à cause de la chaleur et de l’arrivée des vacances… ». La sonnerie retentit. Une volée d’enfants occupe la cour dans un flot de rires, ils courent et semblent contents d’être à l’air libre. « Paola, on fait quoi aujourd’hui ? » « J’ai apporté des jeux mais pour l’instant, vous pouvez profiter de la récré… pour être encore plus attentifs pendant l’atelier ! ».
La chasse aux symboles
Nouvelle sonnerie. Je les fais monter en classe, avec une légère appréhension quant à leur capacité de concentration. Mais heureusement, une fois dans la classe, il fait frais. Pour autant, le petit groupe d’enfants de CM1 et CM2 semble encore avoir besoin de se dépenser. Pour attirer leur attention, une fois qu’ils sont assis, je laisse un moment de silence et demande à voix basse « Qui aime jouer ? ». « Moi ! », « Moi ! », « Moi ! ». Ça tombe bien…
Pour commencer, je leur demande ce qu’ils connaissent comme symbole. Gary et Théa se lancent : « Une issue de secours, Madame » ; « La pharmacie ». « Mmh, pas mal ! Il existe beaucoup de symboles. Je vous propose… une chasse aux symboles ! ». Je répartis les enfants par groupes de 2 et leur donne à chacun un plan du quartier Stalingrad à Paris. « Je vous laisse trouver les symboles sur ce plan ».
Quand toutes les équipes ont terminé, nous partageons les trouvailles.
Les chrét-euh et l’église des musulmans
Thaïs lève la main : « Il y a une croix ». « C’est juste. Où est-ce qu’on peut trouver ce symbole, à ton avis ? ». « Euh … c’est le lieu religieux pour les chrét… euh … il y a ‘in’ dans le mot … euh. » Je demande à la classe d’aider Thaïs, et ensemble ils trouvent le mot « chrétien ».
Théa enchaine : « J’ai trouvé une lune et une étoile… Comment s’appelle l’église des musulmans ? » « Tu parles du lieu où ils vont prier, de leur lieu de culte ? » « Oui ». « C’est la mosquée ! », répond alors Adam. Les enfants se rendent compte de points communs entre des religions : les croyants de plusieurs religions prient et ils ont un lieu de culte. Nous évoquons ensemble les spécificités pour chacune des religions citées : le lieu de culte des musulmans s’appelle la « mosquée », il est différent de « l’église » catholique, du « temple » protestant ou de la « synagogue » juive. Dans chacun ont lieu des cérémonies collectives, les croyants y prient mais sans le faire exactement de la même manière ; ils ne racontent pas exactement les mêmes récits.
Pas de mosquée dans le Marais ?
Je leur propose ensuite une nouvelle chasse aux symboles mais cette fois-ci avec le plan du quartier de leur école. Les enfants retrouvent presque tous les symboles repérés sur le plan précédent mais Gary réagit : « Il en manque un ! Il n’y a pas le symbole des musulmans ».
En effet… Les enfants se demandent pourquoi il y a 3 églises et pas de mosquée. Nous revenons alors sur l’Histoire de France : celle-ci ayant été pendant longtemps un royaume catholique, c’est l’État qui a payé pour faire construire de nombreuses églises ; c’est pour ça que, de manière générale, en France, on trouve beaucoup plus d’églises que d’autres lieux de culte. Dans le quartier du Marais, on trouve aussi plusieurs synagogues car une importante communauté juive y vit depuis le 13ème siècle. En revanche, il y a moins de mosquées car construire des édifices religieux coûte très cher ; et aujourd’hui, pour traiter à égalité toutes les personnes quelle que soit leur croyance, l’État ne finance plus aucun lieu de culte : ce sont les communautés religieuses qui s’en occupent elles-mêmes. Les enfants lancent des hypothèses pour expliquer l’absence de mosquée sur le plan : « Peut-être qu’il n’y a pas beaucoup de musulmans dans le quartier… » ; « Ou bien ils n’ont pas encore réuni assez d’argent ? ». Camilia s’exclame alors : « Un lieu religieux, c’est pas obligatoire… ». Théa, pointant le premier plan : « Oui, mais c’est possible d’en avoir puisque j’en ai vu un dans ce plan ! ».
Drapeau, symbole, et religion préférée
Adam regarde le symbole qu’elle désigne, avec la lune et l’étoile : « Je le connais ce symbole, il est sur le drapeau de l’Algérie et du Maroc. J’y suis allé, je suis marocain ». « C’est juste Adam, le symbole de l’islam est sur le drapeau de ces 2 pays. Est-ce qu’il y a des symboles religieux sur tous les drapeaux ? ». Les enfants observent les tableaux affichés dans la classe et constatent que beaucoup de drapeaux n’ont pas symbole religieux, comme celui de la France. Je prends le temps d’expliquer pourquoi : « Sur le drapeau français, il n’y a aucun signe religieux : c’est parce que l’État n’a pas de religion. Et il n’est pas non plus athée ou agnostique. Autrement dit, aucune religion n’est préférée par l’État ; il est neutre. C’est ça qui lui permet de protéger la liberté de tous les citoyens : chacun est libre de choisir la religion de son choix, ou de choisir de ne pas en avoir. C’est de ça qu’on parle quand on dit que la France est un pays laïque ».
La religion « musulman » et le voile
Nous passons à la seconde activité. On liste ensemble les symboles et les religions identifiées et je leur demande ce qu’ils connaissent de chacune. Théa lance : « Dans la religion musulman, on met un voile ». Thaïs la corrige : « On dit l’islam ». C’est l’occasion de leur demander si toutes les musulmanes portent le voile. Camilia réfléchit : « Ma grand-mère m’a expliqué pourquoi on met le voile, je vais lui redemander. ». Je reformule et demande : « A votre avis, est-ce que les musulmanes qui se couvrent la tête le font toutes pour la même raison ? ». Les enfants réfléchissent aux diverses motivations : se rapprocher de Dieu, faire comme ses parents, volonté d’être pudique… J’insiste à nouveau, pour conclure la discussion, sur la diversité des pratiques dans l’islam : tous les musulmans, ni toutes les musulmanes, ne pratiquent pas leur religion exactement de la même manière !
Le petit chapeau de… certains juifs
A son tour, Clara pointe un symbole affiché au tableau : il s’agit de l’étoile de David « Les juifs c’est ceux qui portent quelque chose sur la tête ». Je la questionne alors pour lui faire préciser : « Est-ce que tous les juifs portent quelque chose sur la tête ? Comment appelle-t-on le petit chapeau que certains juifs portent sur le haut du crâne ? ». « La kippa ! » s’exclame Lucien. « OK, et à votre avis, est-ce que tous les juifs portent une kippa ? ». « Mais non… » répondent plusieurs enfants. Clara insiste : « Je croyais que quand quelqu’un portait quelque chose sur la tête, c’est qu’il était juif ». « Ah oui, pourquoi tu pensais ça ? Il n’y a que des juifs qui portent quelque chose sur leur tête ? Par exemple, dans d’autres religions, il n’y a pas des croyants qui se couvrent la tête ? ». Les enfants citent plusieurs religions où cette pratique est également répandue. Je demande aussi : « Et si quelqu’un porte quelque chose sur sa tête, ça veut forcément dire qu’il porte un signe religieux ? ». Des sourires apparaissent sur tous les visages « Bien sur que non ».
J’en profite pour évoquer la diversité des pratiques parmi les croyants juifs. Ensemble, nous réfléchissons aux significations du port de la kippa : par exemple, pour certains juifs ce chapeau renvoie à une qualité importante, l’humilité. Je propose aux enfants de deviner pourquoi, et Ségolène tente : « Mettre quelque chose sur sa tête, comme Dieu il est au-dessus, c’est peut-être pour montrer qu’un humain, c’est plus petit que Dieu. Comme ça, il se prend pas pour Dieu ! ».
La sonnerie retentit. Clara a encore des choses à dire, Théa ajoute d’un ton boudeur et revendicatif qu’elle aussi voulait dire quelque chose. « Ce n’est pas grave, on en reparle la semaine prochaine, promis ! ».