In Naruto Malik trusts
Novembre 2021, « In Naruto Malik trusts » – Orla Eady, service civique ENQUÊTE
En cette journée nuageuse d’octobre, zoom sur une rue tranquille dans le 15ème arrondissement de Paris. Non loin du dernier appartement de Michel Foucault, piétons et cyclistes se croisent devant une école élémentaire. Le froid n’entame en rien la détermination des élèves à faire le plus de bruit possible pendant la récré – et les matchs de foot se disputent sous l’œil approbateur de la pieuvre géante dessinée sur le mur de la cour de récré.
A 15h, une sonnerie musicale retentit, mais le faux billet de 0 euros continue à faire le tour de la cour devant les regards ahuris des CM2. Une fois le ballon de mousse récupéré, Max emmène son groupe dans la salle informatique, au 3e étage. Les affiches accompagnent le chemin “Qui descend mal l’escalier risque de tomber !”, on s’en souviendra à 16h30.
La première tâche consiste à faire l’appel pour instaurer le calme pour commencer la séance – aujourd’hui c’est “savoir et croire” ! Dans la salle, les élèves aident à installer les tables pour former trois îlots.
Pour débuter, un petit exercice pour se remémorer la dernière séance : alors, qu’est-ce qu’on a retenu ? Les doigts se lèvent et les réponses s’élèvent “agnostique c’est quand on n’a pas de religion” -Max fronce les sourcils, il faudra reprendre ce point pour préciser-; “nationalité, origine et conviction c’était les catégories !” ; “polythéiste ça veut dire plusieurs dieux !” ; “dans la vidéo il est allé en prison parce que son pays n’était pas laïque !”. Puis, au grand plaisir de tous, Max lance une vidéo de la série “Vinz et Lou”. Vinz réalise un film pour un de ces cours et pour ce faire propose des phrases à ses camarades. Sa petite sœur, Lou, l’aide en lisant à voix haute les phrases, par exemple : “Napoléon, tu sais ou tu crois ?”. Dans la classe, les élèves ont compris, il s’agit de dire si cela relève du savoir ou du croire. La vidéo se poursuit, un des protagonistes apporte comme preuve à l’existence de Napoléon qu’on aurait retrouvé… sa brosse à dents – les rires fusent.
A votre tour
Le film fini, le brouhaha reprend, les groupes discutent de leurs trouvailles sur la vidéo tout en se lançant leurs trousses. Malgré la confusion, des éléments sont couchés sur les feuilles roses et les exposés prennent forme. Max tourne dans les groupes pour aiguiller, encourager …et attraper les trousses volantes. Un représentant de chaque groupe propose un résumé de la vidéo, la brosse à dent de Napoléon fait sensation tout comme la supposée histoire d’amour entre deux protagonistes de la vidéo. Pour finir ils entonnent la phrase d’accroche ensemble : “Savoir et croire, c’est tout un… ART!”. Max rebondit pour expliquer que les groupes vont faire le même jeu : il va leur lire des phrases et eux vont devoir voter pour décider si cela relève de la croyance ou du savoir. Après une réflexion en groupe, ils devront lever un petit panneau en carton pour donner leur réponse et préparer un argument pour justifier leur décision.
“Il y a des tables dans cette salle de classe.”
– “Savoir ! crie Anselme
– Ouaip ! réplique Soraya
– Bon on va utiliser les pancartes, s’il vous plaît.”
La réponse reste la même, les élèves sont d’accord pour dire que cette phrase relève du savoir. “C’est logique, dit Soraya, on met les trousses dessus.” “Oui, répond Max, donc tu les touches, on peut les voir.” La phrase suivante est similaire : “Au moment où nous parlons, maintenant, il y a des tables dans la salle d’à côté.”. Cette fois-ci deux groupes lèvent “savoir” alors que le dernier lève “croire”. “Bah Monsieur c’est savoir parce que sinon ceux d’à côté ils ne peuvent pas travailler !” ; un élève est d’accord sur ce point car il a eu classe dans la salle d’à côté et a vu les tables. Cependant, le dernier groupe suggère qu’avant elles y étaient, mais que peut-être elles ont été déplacées à la dernière minute et qu’on ne peut pas vérifier dans l’immédiat. Peu à peu le doute se forme. “Oui mais si c’est une classe pourquoi est-ce qu’on enlèverait les tables ?” s’interroge un des élèves à voix haute. Quand Max confirme que cela relève du croire, des sourcils se froncent – il lui faut préciser que, en vérifiant, cette hypothèse ou croyance passera de l’ordre du croire à celui du savoir. Le mot central était “maintenant” !
Le principe est compris et les phrases s’enchaînent. On passe à : “L’eau gèle en dessous de zéro degré”. Le premier groupe est convaincu, c’est savoir, pourquoi ? “Bah parce qu’on l’a appris en sciences !”
– “Bah alors !? renchérit Melila
– Si on avait une machine à glacer le ciel on verrait bien que quand il fait -5 ça gèle”.
Le tour est joué, Max leur fait comprendre que c’est le fait de pouvoir expérimenter qui constitue la méthode scientifique et qui nous permet de tous être d’accord sur ce fait sans pouvoir le vérifier dans l’immédiat avec des machines à glacer le ciel. Mais concernant les faits historiques, “pourquoi sommes-nous d’accord sans pour autant pouvoir faire l’expérience ou bien assister nous-mêmes à l’événement ?” Pour cette phrase, Max utilise l’exemple de la victoire des Romains sur les Gaulois en 52 avant notre ère. Les enfants sont partagés, les groupes n’arrivent pas en interne à se mettre d’accord :
– “Moi je crois !
– On a trouvé des objets !
– Mais parce qu’on l’a appris à l’école ça.
– C’est savoir parce que quelqu’un a trouvé des traces de la guerre.
– Qui ça ?” demande Max
– Les archéologues !”
Ils ont très bien argumenté, à l’instar des scientifiques pour l’eau qui gèle, ici ce sont les experts archéologues qui, à partir de traces diverses peuvent conclure avec confiance que les événements historiques se sont déroulés de telle manière. Cependant, Max insiste sur la difficulté parfois de se mettre d’accord et sur l’incertitude de certaines périodes historiques, dans ce cas alors cela peut être croire ou savoir !
Maxime, Cathy et Naruto
La phrase suivante est épineuse également : “Vous connaissez Maxime et Cathy ?”. Max met en scène ici la Responsable Éducation Ville de l’école et un des animateurs que les enfants côtoient ; les enfants répondent que oui et alors Max propose “Maxime et Cathy s’aiment bien, alors c’est “savoir” ou “croire ?”. Ces groupes sont manifestement des experts des relations inter-personnelles. Tous sont d’accord pour dire “croire” – effectivement, ils proposent comme argument qu’on ne peut pas se mettre dans la peau de Maxime et Cathy ; qu’un jour ils pourraient ne plus s’entendre, peut-être qu’ils se détestent maintenant même ! “Bon, on espère que non” mais les enfants saisissent bien le caractère invérifiable des sentiments et des pensées d’autrui. Ils concluent que seuls Maxime et Cathy sont en mesure de savoir dans ce cas.
Après une interjection de Pierre, on constate qu’il ne reste que 15 minutes pour traiter de la dernière question ! Vite, Max lit pour pouvoir recueillir les réponses : “Il y a un dieu qui a créé le monde”. Plus de concertation, on crie les réponses :
– “C’est “croire” à mort !
– Non, non, savoir !
– … et après on termine le cours ?
– Oui, mais moi j’ai une preuve qu’il existe !”, a proposé Soraya.
Quand Soraya a été malade, sa mère a prié Dieu pour qu’elle se rétablisse et alors “je me suis sentie bien mieux”. Max et les autres écoutent son récit; il leur demande s’ils sont tous d’accord :
– “C’était quoi ta maladie ? demande Pierre
– Je ne sais pas, réponds Soraya
– Bah déjà il faudrait savoir quelle maladie !
– Oui mais moi je crois qu’il existe ce Dieu…
– Moi j’aurai prié pour une switch….”
Différence des opinions et des croyances ! Max recadre la discussion et souligne le fait que Soraya ne souhaite pas l’imposer mais exprime que c’est une croyance importante pour elle. Un autre élève dit qu’il a une opinion différente. Max conclut : effectivement c’est “croire” car on n’a pas de preuve pour l’existence de Dieu, mais on n’a pas non plus de preuve contre ! Il explique que c’est comme ça que Sophie comprend les choses et qu’elle peut l’exprimer, qu’elle ne parle pas au nom de tous et que chacun peut se former son propre avis.
Une dernière question avant de ranger : “et donc ça a quel lien avec la laïcité tout ça?” Là ils sont rapides, ils ont l’habitude. L’un soulève qu’on peut avoir des opinions différentes, Soraya croit que Dieu existe mais Malik n’y croit pas, un autre suggère que la liberté de conscience (terme fourni par Max) c’est la laïcité qui la protège.
Avec malice, Ethan tient cependant à préciser que si Malik ne croit pas en Dieu, il croit en Naruto !